Ce texte a été écrit par votre serviteur dans le T.G.V. Paris/Valenciennes (1H20 de retard, la prochaine fois j’irai à pied), je le retranscris ici tel qu’il a été écrit sur un vieux bout de papier.
Étranges moments… étranges pensées… Mais voici que déjà s’efface la banlieue monochrome et qu’éclate les couleurs de la nature, entrecoupées ça et là de quelques lambeaux de civilisation, îles éparses et sombres dans un océan de verdure. Ça et là, la terre est meurtrie par les hommes qui fouillent en ses entrailles, pour en extraire quoi ? Quelque métal précieux ? Ou n’est ce que pour flétrir sa beauté qu’ils jalousent ?
Les mythes répondent aux questions de l’homme, mais ce sont des réponses non dites à des questions qu’il ignorait s’être posé. Sans qu’il le sache, le mythe fournit à son esprit un embryon de réflexion et de réconfort. Car un mystère qui nous hante est obsédant, et le mythe a pour but d’exorciser cette peur ancrée en nous. Non, nous n’avons pas dû affronter des monstres, mais nous avons tous déjà été confronté au mal, hydre aux multiples têtes. Non, nous n’avons jamais eu les problèmes de triangle amoureux chers à Mr Katsura Masakazu, mais qui n’a jamais aimé ?
L’astre du ciel, par bravade, brille plus intensément encore tandis qu’il retombe, gerbe éclatante de lumière. Par sa seule présence, il rehausse la beauté des cieux comme un bijou met en valeur le visage d’une femme. Enfin, une forêt s’offre aux regards. Une forêt a ceci de fascinant qu’on ne sait pas ce qui se cache derrière la 1ère ligne verte de ses innombrables soldats pacifiques, impeccablement en désordre mais formant malgré tout une armée des plus sympathique. Le train va si vite qu’il semble à mes yeux défaillants que les nuages ne sont qu’à 10 mètres au dessus des champs, immobiles tandis que nous les dépassons. Ils nous regardent passer avec étonnement : qui sont ces hommes pour les traiter ainsi ? Morphée, infatigable compagnon de mes rêveries, me tente par ses propos. Des chênes plantés le long d’un champ monte une garde vigilante : pas un poireau, pas un radis ne s’échappe de son enclos. La fureur des Vents semble avoir frappé un innocent cabanon. Innocent ? Pas sûr. Il dénaturait la nature, soufflent les Vents.
Les japonais pensent que les miroirs sont fidèles, les occidentaux s’en méfient. Narcisse, il est vrai, était grec, et si la mémoire des gens est courte, le mythe demeure, éternelle et vigilante mise en garde à nos enfants, afin qu’ils ne fassent pas plus tard ce que nous faisons, et qu’ils feront d’ailleurs à leur tour. 8H23 : 1er arrêt à Arras. Harassant, cet arrêt me stoppe en pleine écriture. Je porte un regard intrigué sur les jeunes sur le quai. Nous avons été comme eux, autrefois, hier encore même. Que les vieillards envient la jeunesse : elle a la paix du corps et les tourments de l’âme. Beauté et inquiétude, force sans sagesse. La jeunesse est devenue le mythe d’une société qui vieillit. Quelques « Tagues » insolents insultent mes yeux et mon goût, me rappelant avec à propos que l’innocence de la jeunesse est avant tout inexpérience. Quels dégâts ne causeraient ils pas si ils avaient seulement conscience de leurs possibilités. Certains mûriront, d’autres pourriront. Les jeunes sont comme des fruits. Méfie toi des fruits gâtés. Je ne parlerais plus le langage des bêtes, je n’utiliserais plus leurs mots corrompus. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Oui, bien, monsieur Descartes. A ces mots j’ajouterais ceci : ce qui est énoncé clairement est bien perçu. A propos, quelle est la différence entre cela et ceci ? Je ne sais. Sans doute pourras tu m’éclairer sur ce point comme sur d’autres. Comment, déjà à Legoland ? Les maisons de briques rouges s’offrent à nous, mais ce n’est que Douai. 8H42.
Le sort s’est acharné sur moi aujourd’hui. Le sort oublie que c’est le destin qui est en marche, mon destin. J’ignore si ce destin passe par Valenciennes, et finalement peu importe. Du moment que ce destin existe. 8H48 : le monde bougerait il ? Non, le train part dans l’autre sens, tout simplement. Nyx étend langoureusement ses bras, baille et se lève. 9H15 : arrivée et extinction des feux de mon stylo.
FIN
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