D’OU VIENS TU CADRA, D’OU VIENS TU VRAIMENT ?

                       Bonjour, cet article a une double vocation. Celle de trouver quelles ont pu être les références graphiques de Cadra, et d’autre part entamer une  réflexion sur la portée d’un personnage de BD en tant que femme.
A l’heure ou les polémiques grondent au sein du paysage américain de BD au sujet de l’image de la femme qu’elle colporte. Je me suis posé la question si Cadra était vraiment comme je le voudrais une icône féministe, ou l’un de ces nombreux clichés.
Autant vous le dire tout de suite, j’ai toujours apporté un soin particulier à construire une personnalité à Cadra, qui soit « réaliste », belle, touchante et à la fois sexy et intelligente. Je lui ajoute  des défauts amusants que l’on peut voir chez sa femme, sa soeur, sa fille ou toute autre jeune femme . Je pense réussir mais lorsque je fais lire un épisode à un collègue, le seul truc qu’il me dit, c’est:
– C’est quoi cette fascination pour la minijupe et les grandes bottes? Tu fétichises?
Là, je saisis mes croquis et mes notes et je regarde mes héroïnes. Et que vois-je? Plein de jambes fuselées dans des bottes montantes façon vehrmacht surmontées de jupes ou shorts assez révélatrices. Horreur! Suis-je un affreux sexiste? Dois-je postuler chez DC comics?
Graphiquement, à quoi ressemble Cadra? Au Punisher avec des seins! Craignos, et là je sens que je déprime…
Aussi recherchais-je à ce stade les personnages féminins m’ayant marqué dans ma vie de lecteur afin de comprendre ce qui m’a séduit chez ces femmes de papiers.

NE LES LAISSE PAS TOMBER…ETRE UNE FEMME LIBEREE…

Je reviens donc naturellement à La VEUVE NOIRE, pendant féminin de Spider-man (j’ai toujours ignoré Spider-Woman) dont je recherchais avidement les aventures communes, dans l’espoir d’y lire une idylle.

Peau de balle! La belle espionne tombe amoureuse d’à peu près tout le monde, mais pas de l’homme-Araignée. En fait dans un bref Flash-back issu du Marvel Fanfare , on apprend qu’elle fut mariée puis qu’elle tomba dans les bras successifs d’Oeil de faucon, de Daredevil, d’Hercule auxquels de sont ajoutés depuis le Soldat de l’hiver. Un vraie vie de patachon parallèle à celle que peut mener James Bond durant ses pérégrinations. Un signe assurément voulu comme celui d’une liberté sexuelle acquise à une jeune femme éternellement libre en fin de compte.
Les femmes semblent alors s’épanouïr dans des rôles de mercenaires, dangereuses, indomptables à l’image d’ELEKTRA. Introduite dans Daredevil (Un putain de tombeur!) elle est l’image même d’une certaine autonomie sensuelle autant qu’asexuée. C’est elle qui romps avec DD et qui se permet depuis de le traiter de très haut, tout en le protégeant régulièrement en douce. L’humiliation permanente pour n’importe quel « Mâle Alpha ». C’est souvent elle qui entraîne une relation d’addiction de la part de ses partenaires, souvent relégués au rang d’outils pour parvenir à ses fins. Elle est aux antipodes de la « damsel in distress » aux quelles on nous avait habitués jusque là.

THE GIRLS  X-DOOR

Que ne lus-je récemment dans un topo que Chris Claremont avait apporté un vrai changement dans la façon de décrire les personnages féminins avec ses X-men. Le ton se modernisa grandement grâce à ses TORNADE, MALICIA, KITTY PRYDE ou encore PSYLOCKE.




Ororo princesse africaine pratique au début un animisme douteux qui consiste surtout à ne faire qu’un avec la nature au moyen d’un nudisme de bon aloi. Heureusement pour elle et pour le lecteur, elle incarne assez rapidement l’esprit de la nature et de la vie transcendant sa condition d’humaine. Fait symbolique, elle dirige l’équipe et le fait assez bien se permettant de coller une raclée à Cyclope sans ses propres pouvoirs. Sentimentalement Claremont l’a voulue assez trouble en sous-entendant une relation plus qu’amicale avec Yukyio. Claremont a d’ailleurs plusieurs fois essayé de placer des persos lesbiennes comme Mystique et Destinée qui adoptent et  élèvent Malicia. MALICIA qui personnifie la fragilité teintée de fatalisme sous l’apparence de l’invulnérabilité. Pour moi, LE personnage sur lequel il ne faut pas se louper. KITTY PRYDE, jeune fille d’entrée présentée comme intelligente, dynamique , souriante, elle est ‘L’avenir de l’homme façon mutante » si j ‘osais reprendre Aragon. Scène clé: Lors de sa rupture avec Colossus, c’est son point de vue qui est pris en compte, ses sentiments qui sont décrits dans une séquence où Claremont bien  loin de son verbiage proverbiale fait preuve de pudeur, de finesse et d’empathie flagrante pour l’adolescente. PSYLOCKE a, quant à elle une particularité  assez spéciale. Prisonnière de l’image de son grand-frère, bien grand, bien costaud et scientifique de surcroît (CAPTAIN BRITAIN), elle se voit dotée de pouvoirs psy qui ne lui correspondent pas. Elle serait vue guerrière et possède une âme de battante à l’image d’un Wolverine. Elle trouvera donc sa voie au prix d’une métamorphose digne de celle d’un papillon. Belles, indépendantes et  balèzes, telles sont les femmes de Claremont, c’est sûr, pour lui X-WOMEN RULE.
Bien sûr le comic-book regorge de femmes fortes à l’image de WONDER WOMAN, RED SONJA, SHE-HULK ou encore BUFFY, mais il faudra attendre BIRDS OF PREY pour voir les choses changer sensiblement et passer au stade supérieur.

Ici, on parle d’une non-équipe à géométrie variable et entièrement composée de membres féminins au caractère bien trempé. Fondée par Oracle, alias Barbara Gordon-ex Batgirl blessée gravement par le Joker-elle mène son monde de son ordinateur en régnant en maître sur le réseau. Sous sa tutelle, travaillent  Black Canary, Huntress et tout un tas d’autres fortes têtes. Très novateur dans sa structure, ce titre préfigure GLOBAL FREQUENCY et met en lumière des personnages secondaires pour leur offrir une nouvelle jeunesse. Cette série est le classique demain et fera le beau jour des rééditions nostalgiques dans quelques temps. Le tour de force est d’avoir enrichi incroyablement Batgirl qui clouée dans un fauteuil roulant acquiert une noblesse, certes durement acquise mais bien loin d’une complaisance larmoyante. Le reste est dû aux talents de Chuck Dixon et de Gail Simone,puissants dans leurs écritures et profondément impliqués dans leurs créatures.
Dans un tout autre genre, le bijou STRANGERS IN PARADISE (dont j’ai déjà parlé longuement) fait tomber le lecteur amoureux toutes les dix pages, Katchoo et Francine étant craquantes au delà du descriptible.

EN EUROPE, RIEN DE NOUVEAU

Dans nos bonnes vieilles bds, la femme a longtemps été absente ou cantonnée au rôle de cantinière, de mère ou de gentille casse-bonbon. C’est par le truchement de l’érotisme façon Bardot (Barbarella) que des héroïnes commencèrent à apparaître. Tu parles d’une avancée, les femmes sont clairement en minorité et c’est pas la Schtroupfette qui me contredira. La situation évolue enfin avec les premières héroïnes comme NATACHA ou YOKO TSUNO.


Mais c’est surtout l’arrivée de LAURELINE qui sera significative et Symbolique. D’abord faire-valoir d’une série de S-F appelée VALERIAN, AGENT SPATIO TEMPOREL, elle éclipsera rapidement son lourdaud de compagnon toujours à la ramasse ,pour devenir le moteur d’une série renommée VALERIAN ET LAURELINE.

Mais ce sont en revanche deux autres personnages qui auront résonance sur moi et peut-être sur Cadra. ADELE BLANC-SEC de Tardi d’abord. Femme libre s’il en est, incarne une sorte de George Sand dans le Paris mystérieux des années folles. Trop anarchiste pour être vraiment féministe, adèle affronte les situations les plus abracadabrantes avec une bonhomie et une répartie désabusée cinglante.

La seconde est une sorte d’ELEKTRA franco-belge, la belle indomptable  KRISS DE VALNOR.

Kriss= Elektra? La preuve par l'exemple

 Elle apparaît dans le tome LES ARCHERS de THORGAL sous les traits d’une jeune fille sans scrupules dont l’énergie se nourrit d’une colère intérieure contre le monde. Elle se transforme petit à petit en second amour de Thorgal de la même façon que pourrait l’être CATWOMAN pour BATMAN. Son Aura se fait telle, qu’elle obtient depuis peu un spin-off, approfondissant d’avantage sa personnalité bien plus complexe ou travaillée que celle du Héros limité finalement à son rôle titre.


Mais revoilà donc l’archétype de la femme guerrière à la morale trouble qui refait surface. Docteur, tout va t-il bien dans ma tête?

LE PIRE DU SOLEIL LEVANT

Au Japon la situation se fait tout autre puisque un partie non négligeable des auteurs sont des femmes (Ryoko Ikeda, le studio Clamp, Yuu Watase, Kyoko Okazaki ou la reine Rumiko Takahashi). On pourrait donc imaginer que cette féminisation du 9e art nippon véhiculerait une image éloignée des stéréotypes. Que nénni mes frères (et soeurs)!
Et ce pour deux raisons: La première est que dans la très grande majorité des titres proposés, les héroïnes sont des jeunes filles de 16 ans maxi, et si ça parle à un public jeune, les situations décrites sont limitées (Parents, carcan social, pas de vie salariale). Ensuite ces nymphettes (au mieux) sont pour la plupart des êtres vouées à l’homme de leur vie, et dont la plus grande ambition serait de faire de bons petits plats pour leurs ingrats et imbuvables mecs. Bien sûr perdues dans le fourre-tout de ce néo-machisme, co existent des bombes sexuelles improbables de 14 ans absolument les meilleures dans tous les domaines de combats et techniques de guérillas possibles et imaginables.  Le lecteur doit donc trier pour trouver certains personnages qui sortent hors du lot comme OSCAR DE JARJAYES (LES ROSES DE VERSAILLES)  incarnant à elle toute seule la mutation de la société française prérévolutionnaire. Encore que pour ce faire, elle doive se parer d’atours masculins.

En icône guerrière digne de ce nom, il ne sort véritablement que GALLY la cyborg, du manga GUNNM abréviation de « Gun No Yumé » soit le « rêve d’une arme »: Tout un programme.

Par ailleurs c’est dans l’oeuvre de Tsukasa Hôjô que les femmes paraissent les plus décomplexées. Ainsi dans CAT’S EYE, on assiste même à une certaine inversion, car nous voilà en présence d’UN petit ami aussi benêt qu’inutile. Dans CITYHUNTER, l’auteur qui adore les femmes les cajole en leur donnant des rôles bien plus complexes qu’il n’y paraît. Si elle ne s’affranchissent pas totalement de la tutelle du héros, elles ont à coeur de trouver leurs voie par elles mêmes. Or, elle luttent souvent contre des mariages forcés, contre une tradition contraignante, ou elles prennent les rennes d’un empire financier, voire même d’un Etat quand elles ne trouvent pas tout simplement l’émancipation par le biais d’une vocation personnelle (Journalisme, musique, comédie…). Hôjô va encore plus loin dans FAMILY COMPO en nous présentant (sans trop de finesse) une famille hors norme et des clichés renversés pour une pochade servant d’excuse à un jeu de masques où le héros- jeune garçon- ne sait plus à quel saint se vouer. Et oui, on retrouve chez SHION un étrange négatif d’OSCAR. La boucle serait bouclée.

Mais c’est un autre modèle que le manga développe finalement: la « jeune fille positive ». Particulièrement mise en scène par les films de MIYAZAKI, on la retrouve chez NAUSICAA, KIKI ou FIO mais elle finit par se répandre dans tout la production japonaise où chez NAOKI URASAWA, elle trouve une incarnation assez haute en couleur en la personne de MIYUKI dans le bien nommé HAPPY!

Celle à la quelle j’ai toujours été attaché fut cet étrange personnage secondaire de MAISON IKKOKU, la Jeune IBUKI YAGAMI, amoureuse transie d’un héros lui même bleu d’une veuve au caractère acariâtre KYOKO OTONASHI. Le duel qu’elles se livrent les transportent à des excès incroyables. IBUKI de son jeune âge, domine largement les joutes verbales qu’elle échange avec Kyoko. Tour à tour gonflée, bluffante, touchante, audacieuse, elle fait feu de tout bois pour obtenir l’affection du héros mais doit s’incliner devant l’amour que partage ses deux aînés.

Son destin empreint de tristesse laisse comme un goût d’histoire inachevée. Je n’ai de cesse depuis de « bien » terminer l’histoire de mes personnages, à cause de Yagami…Pour elle en quelque sorte.
Cadra a finalement peu de modèle directs. Si on peut certes dégager un profile, et une obsession pour le contrôle de son propre destin, la féminité du personnage ne passe que par cette sorte de chanson d’amour permanente pour ces créatures, de papiers ou de chair que je comprends si mal.
Pas faute d’essayer ma foi!
Eddy oct 2011
Je dédie d’ailleurs respectueusement ce billet à Katchoo la blogueuse (the lesbian geek.com), dont la prose m’inspira les questions à la base de cet article.


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