Regardons un peu dans les ténèbres…

Et voyons ce qui en sort.
J’ai aujourd’hui 33 ans, et si mes aspirations ont évolué, je désire toujours écrire une histoire pour Cadra.
Pas pour distraire 5 minutes le lecteur de son existence, en le régalant d’une violence exercée sans retenue sur des êtres méprisables. Pour faire une bonne BD. La force de la bande dessinée vient de la manipulation simultanée de l’image et de l’écrit pour provoquer un changement chez le lecteur, une émotion, une réflexion… Cadra a chez moi atteint à ce but. Il me reste donc à apporter mon interprétation.
Plutôt qu’une contestation facile de la religion, cette BD me pose la question de la relation aux autres dans la société moderne. « Ce n’est pas Dieu qui tue les enfants, c’est nous. Seulement nous. » (Watchmen, d’Alan Moore).
Ne pouvant demander une réponse directement à une divinité absente du quotidien, il nous reste à la chercher à travers notre prochain, en particulier le malade, le malheureux, l’étranger, et, pour ceux qui sont d’une confession, une communauté de croyants.
L’univers de CADRA21 diffère-t-il tellement du nôtre?
Cadra vit au début dans un monde d’apparence, et sa rencontre avec Dieu se fait au travers des gens de son quotidien et des victimes qu’elle venge.
Aussi effrayant physiquement que soient les différents démons nommés « 6 », les vrais monstres croisés au fil du récit sont un frère brûlant sa sœur, un enfant achevant un passant, une bande passant à l’acte… CADRA21 interroge sur la banalité de la violence et la déchéance de l’homme qui se fait monstre.
Ce criminel, que Dieu ne punit pas dans ce monde, est-il lui aussi, malgré tout, le prochain de Cadra? Il est en tout cas chassé de la communauté des hommes de la façon la plus expéditive, dusse-t-elle le pleurer (épisode 2) ou le respecter (épisode 5). Cadra dit vouloir rétablir un équilibre, parce que l’homme mérite mieux que ça: elle est comme les héros de Warren Ellis en fait, sauf qu’elle reconnaît commettre des actes « monstrueux » (épisode 7 ).
Et puis il y a les Anges : s’ils désirent voir l’homme instituer la justice sur Terre, c’est en lui rappelant que Dieu exige de l’homme une véritable humanité, par l’obéissance à Sa loi. Qui est l’homme pour juger et punir ? (épisode 7)
Cadra prétend ne pas juger les hommes, seulement punir : elle épargne la mère indigne (épisode 4) comme le père caché (épisode 10). Ne doivent être éliminés que les irrécupérables, ceux qui détruisent les autres, c’est-à-dire finalement ceux qui rendent impossible aux autres l’humanité que Dieu attend de nous tous.
Dans ces conditions, pourquoi Cadra est-elle en lutte contre Dieu ?
Face à ce Dieu au dessus des hommes, Satan se révolte, mais devant Jésus qui s’humilie pour les faibles, il accorde un délai. La venue de Cadra symbolise donc l’échec de Dieu aux yeux de Satan (elle a, littéralement, les yeux accusateurs de son père).
Cette révolte peut sembler proche du message de Dieu : « il faisait droit au pauvre et au malheureux… voilà certes ce qui s’appelle Me connaître » (Jérémie 22,16). Le récit poussera cette responsabilité qu’elle ressent pour les autres jusqu’à la substitution, quand elle manque de finir dans une tournante (épisode 6 ).
Mais Cadra fait plus qu’accorder la priorité à son prochain sur Dieu : dans le monde qu’elle crée, les humains sont entre eux, Dieu est absent parce qu’inutile et même coupable par Son silence. Il est la seule personne qu’elle dit vouloir juger un jour ! (épisode 8 )
Il ne faut pas s’y tromper, Cadra est l’Antechrist : le Messie tel qu’il est malheureusement parfois conçu, c’est-à-dire une solution miracle tombée du ciel, qui arrête l’histoire à notre place, qui entend supprimer la souffrance des hommes par la violence ; alors que le véritable Messie a choisi de l’endurer, de prouver qu’il y a une autre voie et que l’humanité peut la suivre.
J’espère avoir quelque chose à apporter à Cadra.
« Tout demeure, tout reste à faire, et me porte à bûcher;
La fête commence et les lampes s’allument. »


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