Lecteur, je t’ai promis une aventure, voici donc le récit d’une de mes soirées.
Je revenais de Paris, et montais les marches me conduisant au métro parisien, familier. Il était fort tard et il ne me restait plus qu’à attendre le dernier train, celui qui ramasse jusqu’à chez eux… hé bien, les gens comme moi.
C’est dépité et en proie à un léger vertige que je m’adossais à un banc. Que ce soit clair, je n’étais pas ivre ni rien, même si j’avais sans doute un peu bu. J’ai dit monté les marches, parce que c’était à la Chapelle.
Je baissais la tête et commença à ruminer sur ma vie. Pour résumer une longue histoire sans avenir, les choses ne se déroulaient pas tout à fait comme j’avais pu l’imaginer enfant. Il me manquait quelque chose, un vide à remplir, mais rien ne semblait me décider à faire le pas qui changerait les choses.
Je sortis un petit carnet, j’en avais toujours un sur moi, et commençais à griffonner mais rien ne vint. Je tentais de dessiner la gare, mais ne produisis que des gribouillis. Oui, il me manquait quelque chose.
« Tu devrais laisser quelques crayons à ce gamin. Lui donner de la smurfettamine. »
Un barbu gris comme Gandalf venait de faire son apparition. J’aurai juré être seul. Mais il y a toujours des gens bizarres quand on prend le dernier train, c’est compris dans le service.
« Euh, bonjour? »
« Dessiner des Schtroumphs et baiser. Le déséquilibre de ta génération vient de là. Pas de secret de la vie, de romance néoromantique nécromantique ou d’opération illégale des gobelins du Kremlin. »
« … Pardon? »
Je le dévisageai.
L’inconnu semblait amical et saoul, un sourire lui rayait un visage à moitié recouvert de long cheveux et d’une barbe hirsute, des bras blancs dépassant d’un simple T-shirt gris. Je remarquais aussi des bagues à ses doigts, et une chaussette qui dépassait de sa poche gauche. Un torque vaguement celtique représentant un serpent se mordant la queue ceignait sa poitrine.
« Je suis la Page 404 de l’univers. Tu es comme un clou qui croit que la vie lui a offert un panier de marteaux. Tu as échoué ici parce que tu ne sais pas où aller. Tu as besoin de schtroumpher, mon gars. »
Mes pensées n’étaient plus très claires, je n’étais pas certain de bien entendre ce qu’il disait, d’autant que l’homme parlait avec un accent Cajun à couper Hokuto. Pffou.
Je reniflais. C’est qu’il faisait froid.
« Faut qu’tu t’mouches. Tu veux un mouchoir? »
Hum, non, un accent belge vaguement américanisé. Je devais être plus atteint que je ne le pensais.
Avant que j’ai pu refuser, l’homme avait fait apparaître un mouchoir propre sous mes yeux. Je le pris avec hésitation, mais la morve commençait à couler vers le sol. Je me mouchais, pendant qu’il s’asseyait à mes côtés, et écartait les jambes en prenant ses aises. Le léger froid tombant de l’ouverture au dessus de nos têtes ne l’atteignait visiblement pas.
« Je ne comprends pas, m’sieur… »
« Il n’y aura pas de strip-teaseuse à tes funérailles, voilà ce que tu ne veux pas savoir, poète illettré. Il n’y a pas d’école pour apprendre aux albatros à voler, pas d’embargo sur les crapauds, pas d’éviction de bernard-l’hermite. »
Piqué par son enthousiasme, je décidais d’entrer dans son jeu. Où étais le mal?
« Qu’en savez-vous? »
« J’ai été comme toi autrefois et puis je me suis enfui pour m’échapper. J’ai vadrouillé mais j’étais partout. Alors j’ai été encore plus loin, me perdre là où je ne me retrouverais jamais. Et j’y suis arrivé. Je l’ai rencontré au Japon. Elle. Ma Muse. Très vite elle m’a convaincu de vivre l’instant présent. »
« J’ai fumé de l’Eucalyptus atomique lors de cette soirée, ce mariage mystique. Hiroshima, mon amour. Cette nuit, c’était comme un Noël masochiste. La mariée m’a roulé dessus comme un Le Clerc en démonstration devant des saoudiens. J’étais prêt à donner naissance à une brigade d’enfants hideux. Et puis ça a été l’incident, comme un slip souillé par Satan. Je blame le Sake. »
« Ok… »
« Je ne l’ai jamais retrouvée. J’ai écumé tous les bars du coin, parcouru les 7 bières, connu toutes les baleines terrestres d’ici à Shangai. Jamais je ne revis l’amour de ma nuit. J’ai survécu à un carnage sur une autoroute à duels au Mexique, aidé la Fée de Santa à repousser les pseudopodes d’un Bukkake cosmique dans les abysses de Santa-Fe, évité les balles de Minuit grâce à la méthode Socratique. Mais c’est sans importance: je n’ai jamais renoncé. C’est comme une érection permanente, je me relèverais toujours, Priape face au destin. »
« Désolé, mais j’comprends pas… »
« Personne ne peut être le meilleur en tout, tu ne peux pas tout faire. Jamais tu ne verras un coucher de Soleil sur Mars. Jamais Obama ne remportera American Idol ou le Prix Nobel. »
« En fait, il l’a eu, le Nobel… »
« Et alors? Tu le veux pas, le Nobel. Tu veux sacrifier une chinoise aux yeux verts, chasser une Baleine blanche, voir arriver Godot. »
Oh, je commençais à voir arriver une leçon de morale d’un vieux à un jeune. Il me tapait soudain sur le système, comme un couteau tourné dans une blessure narcissique.
« Si vous me dites que l’important n’est pas la destination mais le chemin, je vais arracher ce banc et vous faire avaler votre euro-bouddhisme sous acide. »
« Ne sois pas agressif, l’alphabet de la dérision post-moderne te rendra dégressif, et ainsi de suite jusqu’à z-gressif. N’espère pas voir débarquer des talibangélistes pour te donner une épiphanie, ces prédictions d’oracles sont des mensonges qui se transforment en vérité au prix de ta liberté. C’est à cause de ça que ce petit enculé de sa mère d’Oedipe s’est brûlé les ailes. »
Putain, quel malpoli.
« C’était Icare, non? »
« C’est aussi important que le dernier caca du Führer. Concentre-toi. Les communistes ont fait tant d’efforts pour aller dans l’espace les premiers, mais aucun Ange n’était ouvrier. Ce miracle inutile n’a lieu qu’une fois, trouves ta propre voix et chante. Grave un Phoenix sur l’épée, mets un dieu dans un bol, un éléphant dans une tour. Tout, plutôt que de continuer ainsi. »
« Sinon le dépit te rongera et ta bouche se transformera en sortie d’usine à fabriquer des cendres, semblables aux lèvres infestées d’Herpes d’un clown déposant un dernier baiser sur les restes du bûcher d’une loyale prostituée, décédée sur le tournage du porno « X -Laden et les maris infidèles ». Tu seras semblable à tous ces gens qui travaillent à rien en attendant la pause café pour vomir sur leurs camarades de grise-vie. »
« Mais, mais je ne sais pas comment faire! Si j’étais vraiment passionné, j’aurais déjà… »
« Tu rates le point de la vie, parce qu’il n’y a pas de point. Être passionné, le meilleur à… à quoi? C’est une perte de temps. Disons-que tu sois le plus populaire chanteur de grunge, qu’est-ce que tu as accompli? La gloire? Elle n’arrête pas les balles.
Un jour un type a frappé à ma porte. Knock, Knock. C’est qui? Le meilleur joueur d’Ultimate du monde. Qui ça? Personne ne s’intéresse aux championnats de frisbee, bonhomme.
Personne ne connaît ta tête. Tu es comme ce type, ta tronche est noyée dans un océan de visages. Aimes-la parce que c’est la tienne. Il y a des gens qui gagnent à la loterie. La loterie génétique, ces types sont plus beaux que toi et ils font la fête plus durement que toi, et le matin ils sont quand mêmes meilleurs que toi en tout. La loterie parentale, et ils sont de bons parents et sont heureux ensemble même dans l’adversité. La loterie géographique, parce que la plupart des pays sont franchement à chier, et ici on peut encore discuter avec un inconnu de ses problèmes. En Ecuador, on m’a volé un rein. Tu m’écoutes ou tu dors, dis? Hé, ho, dring! »
Dring?
Driiiing, driiiing.
Et je me suis réveillé, refroidi sur le banc d’un quai désert. La clameur du vieillard s’était tue, le souvenir de ses cris à mes oreilles et le silence me couvraient comme deux manteaux tissés de contradictions. Mon aventure n’était donc qu’une hallucination, j’avais parlé à un rêve le temps d’une fausse éternité. L’horloge en face de moi prouvait du reste qu’une demi-heure à peine s’était écoulée.
Pourtant, je peinais à trouver à ce monde plus de réalité qu’à mon songe d’une nuit pétée. C’était à l’évidence une folie morphéïque, en vérité tout ce discours avait été si étrange et bizarre… nom d’un p’tit boulon!
Je bondis, regardant l’objet gluant collé à mon poing serré. Je le levais dans la pâle lumière électrique qui me baignait vaguement: un mouchoir usagé.
Devant moi attendaient les portes ouvertes du train qui me ramènerait à la maison.
Je fis un pas en avant, et su que je ne m’arrêterais plus jamais.
La nuit du destin
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